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Agronomie

Sécheresse au Maroc : estimation des conséquences agroéconomiques sur la culture de blé avec Cropwin®

itk Agro
18 juin 2020
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Introduction

Les épisodes de sécheresse ont toujours été présents dans l’histoire du Maroc, mais leurs fréquences et leurs sévérités se sont intensifiées au cours du siècle dernier. Au 22 avril 2020, le Maroc affichait une pluviométrie en baisse de 34 % par rapport à la moyenne des 30 dernières années et de 25 % par rapport à la campagne précédente à la même date. Ce déficit hydrique a été exacerbé par une répartition et une fréquence irrégulière de la pluviométrie. En effet, de longues périodes sèches ont été relevées (jusque 40 jours), en particulier pendant les périodes de tallage et de montaison du blé.

Au Maroc, la plupart des parcelles étant en Bour (non irriguées), les céréaliers sont entièrement tributaires de la pluviométrie. Ainsi, les périodes de sécheresse enregistrées sur la campagne 2019 – 2020 ont eu des conséquences majeures sur les cultures de céréales. D’après le ministère de l’agriculture, la production des trois céréales principales (blé tendre, blé dur, et orge) est estimée à 30 millions de quintaux pour la campagne 2019 – 2020, soit 42 % de moins par rapport à la campagne précédente[i].

L’objectif de cette étude est d’estimer à l’aide de l’outil Cropwin® l’effet de la sécheresse sur les rendements et les coûts de production du blé dans des conditions climatiques extrêmes, telles que celles rencontrées dans le nord du Maroc sur la saison 2019 – 2020. Grâce à des algorithmes conçus par ITK, Cropwin® simule les effets de l’environnement et des pratiques culturales sur le remplissage de la réserve utile du sol et la satisfaction de la demande en azote des cultures. Ces simulations permettent d’anticiper la croissance et le développement des cultures, et ainsi de prédire leurs réponses face à des scénarios climatiques sans précédent et sans équivoque.

Matériels et méthodes

Cropwin® est un outil d’aide à la décision développé par ITK et directement manipulable en ligne grâce à un navigateur web. A partir de données d’entrées agricoles, Cropwin® combine intelligence artificielle et modèles scientifiques afin de simuler virtuellement l’effet de l’environnement et des pratiques culturales sur la croissance et le développement des cultures. Grâce à son interface graphique, Cropwin® permet de visualiser la durée et l’intensité des stresses hydriques et azotés prédits en fonction des stades phénologiques estimés. L’outil fournit également des prédictions de rendement et de retour sur investissement tout au long de la saison.

Paramètres d’entrées du modèle

Les données d’entrées agricoles renseignées dans l’outil Cropwin® incluent les conditions de semis (date, variété, profondeur, densité, et niveau de remplissage de la réserve utile), le type de sol (CEC, pH, MO, reliquat azoté post-récolte, teneurs en sable, argile, limon, et pierrosité), le type de travail du sol, le précédent cultural (culture, rendement, dates de récoltes et d’enfouissement), ainsi que les pratiques culturales (irrigation et fertilisation azoté). Les données d’entrées incluent également la localisation des parcelles, ce qui permet de récupérer automatiquement et quotidiennement les données météorologiques (passées et futures) à partir de la station la plus proche (radiation solaire, pluviométrie, températures minimales, maximales et moyennes).

Dans cette étude, deux sites ont été choisis au nord du Maroc : Fès et Sidi (Figure A). Ces sites sont situés dans une zone de production assez favorable, caractérisés par un climat méditerranéen, chaud et sec en été. Afin d’intégrer l’effet de la texture du sol dans les prédictions de rendement et de retour sur investissement, deux types de sols ont été paramétrés sur chaque site : un type argile (10% sable, 60 % argile et 30 % limon) et un type limon argileux fin (10% sable, 30 % argile et 60 % limon). Afin d’également intégrer l’effet année sur les prédictions, les simulations ont été conduites à la fois pour la campagne actuelle (2019 – 2020) et pour la saison précédente (2018 – 2019), soit un total de huit simulations (deux sites x deux types de sol x deux saisons).

Figure A : localisation des sites de Fès et Sidi

Les données d’entrée agricoles ont été paramétrées de façon à être représentatives des pratiques culturales marocaines : blé non-irrigué, semé à la mi-Novembre à 2 – 3 cm de profondeur et à une densité de 300 000 plantes par hectare. Les apports d’azote ont été simulés sous forme de nitrate d’ammonium et fractionnés en trois fois, avec un premier apport de 40 unités au semis, un second de 70 unités au moment de la reprise de végétation au stade épi 1 cm (F5), et un troisième de 50 unités pendant la montaison (F9). Ce dernier apport permet normalement d’assurer la nutrition de la plante et d’augmenter la teneur en protéines des grains. Afin d’estimer l’effet de ce dernier apport sur prédictions de rendement et de retour sur investissement, les simulations ont également été effectuées sans ce troisième apport. Au total, 16 simulations ont été conduites (deux sites x deux types de sol x deux saisons x deux itinéraires techniques).

Paramètres de sorties du modèle

Les simulations ont été effectuées directement en ligne sur l’application web (Figure B). L’interface Cropwin® affiche ① les stades phénologiques clefs en fonction des dates de prédiction calculées par le simulateur, ② le niveau de remplissage de la réserve utile estimé, ③ la satisfaction de la demande en azote estimée, ainsi que ④ les données météorologiques telles que les pluies et températures. Cropwin® fournit également les prédictions ⑤ de rendements (T/ha) et ⑥ de retours sur investissement (€/ha) en fonction des pratiques culturales simulées (Figure B).

Figure B : Interface de Cropwin

Résultats et discussion

Distribution de la pluviométrie

L’outil Cropwin® est directement connecté aux stations météorologiques les plus proches de la parcelle. Les données météorologiques passées et prévisionnelles sont automatiquement récupérées et mises à jour quotidiennement afin d’ajuster les prédictions de rendement.

Sur l’interface de Cropwin®, le graphique de pluie et température indique un mois de février particulièrement chaud et sec sur l’année 2020 (Figure C). Sur le site de Fès par exemple, seulement 0.6 mm ont été enregistrés au 20 février 2020 (C.1), contre 39.4 mm répartis en trois épisodes en 2019 (C.2). Sur le site de Sidi, 2.5 mm ont été enregistrés en février 2020 contre 37.5 mm en février 2019 (données non présentées).

Figure C : Pluie et température sur le site de Fès

Remplissage de la réserve utile

La quantité d’eau que le sol peut absorber et restituer à la plante (la réserve utile) est calculée dans Cropwin® à partir des données de texture et de pierrosité du sol renseignées dans l’outil. Le niveau de remplissage de cette réserve utile est ensuite calculé sur une base quotidienne par la méthode du bilan hydrique. Deux niveaux de stress hydrique sont affichés : un stress modéré (en bleu clair) lorsque le niveau de remplissage descend en dessous de 75% de la réserve utile et un stress élevé (en rouge) en dessous de 25% (figure D).

Les simulations Cropwin® montrent que la répartition irrégulière et le faible niveau de pluie sur la campagne 2019 – 2020 influencent le niveau de remplissage de la réserve utile. Sur la parcelle de type argile du site de Fès, le stress hydrique élevé débute au 15 février 2020 (D.1.a), soit huit jours plus tôt que la saison précédente (D.2.a).

Les simulations Cropwin® montrent également l’effet de la texture du sol sur le niveau de remplissage de la réserve utile du sol. Le stress hydrique élevé commence une dizaine de jours plus tard pour un sol de type limoneux en comparaison avec un sol de type argileux. Sur le site de Fès par exemple, le stress hydrique élevé débute le 26 février 2020 sur la parcelle de type limon (D.1.b), soit 11 jours plus tard que sur la parcelle de type argile (D.1.a). L’effet est similaire sur la saison précédente : le stress hydrique élevé débute au 09 mars 2019 sur la parcelle de type limon (D.2.b), soit 14 jours plus tard que sur la parcelle de type argile (D.2.a). Les simulations Cropwin® montrent un effet similaire sur le site de Sidi pour les deux campagnes (données non présentées).

Satisfaction de la demande en azote

La satisfaction de la demande en azote correspond à l’écart entre la demande en azote de la culture en fonction des stades phénologiques et la quantité d’azote que peut réellement fournir le sol. Les fournitures totales en azote du sol sont estimées avec Cropwin® sur une base quotidienne par un bilan azoté. Deux niveaux de stress en azote sont affichés : un stress modéré (en vert clair) lorsque la satisfaction de la demande en azote descend en dessous de 75% et un stress élevé (en rouge) en dessous de 25% (figure E).

Les simulations Cropwin® montrent que pour les deux saisons le troisième et dernier apport de 50 unités permet de couvrir les besoins en azote pour quelques jours seulement. Cette période de couverture est plus courte sur la campagne 2019 – 2020 que 2018 – 2019.  Sur la parcelle de type argile du site de Fès par exemple, le dernier apport permet de couvrir la demande en azote pour cinq jours sur la saison 2019 – 2020 et sept jours sur la saison précédente.

Les simulations Cropwin® montrent que le dernier apport azoté n’a que très peu d’effet sur les rendements estimés. En comparant le graphique de satisfaction de la demande en azote avec la pluviométrie enregistrée sur le site, il apparait que l’apport d’azote coïncide avec une période très sèche. Or en l’absence d’irrigation et de pluies pendant plus de 15 jours après l’apport, les engrais apportés à la culture ne peuvent être dissous et ne sont donc pas assimilables par la plante[ii]. L’azote reste à la surface du sol et est soumis à des pertes par volatilisation. L’apport est donc inutile à la culture puisqu’il n’atteint pas les racines. En plus de cela, le déficit hydrique induit des réductions des capacités d’absorption par les racines et de la réduction du transport entre les parties souterraines et racinaires du fait de la chute de la transpiration, ce qui contribue globalement à diminuer l’efficacité des apports d’engrais.


Figure E : satisfaction de la demande en azote sur la parcelle argile du site de Fès

Efficacité d’utilisation de l’azote du dernier apport

Les rendements ont été estimés dans Cropwin® avec et sans le dernier apport en azote. Sur la parcelle argile du site de Fès, ce dernier apport permet d’atteindre sur la saison 2019 – 2020 un rendement de 2.5 T/ha. Sans ce troisième apport, le rendement sur cette parcelle est estimé à 2.3 T/ha. Le troisième apport permet donc un gain de 0.2 T/ha (données non présentées). Le constat est similaire sur la saison 2018 – 2019 :  le rendement estimé avec le troisième apport est de 3,7 T/ha contre 3.4 T/ha sans troisième apport, soit un gain de 0.3 T/ha en 2019 (données non présentées).

Les plus-values ont également été estimées dans Cropwin® avec et sans le dernier apport en azote. Ces plus-values correspondent aux bénéfices réalisés (rendement estimé x prix de vente) soustraits aux coûts de la fertilisation. Le prix de vente a été fixé à 150 €/T pour les deux saisons. Sur la parcelle argile du site de Fès, la plus-value est égale à +86 €/ha avec le troisième apport sur la saison 2019 – 2020. La plus-value est cependant plus élevée sans ce troisième apport (+88 €/ha). Sur la saison 2018 – 2019, la plus-value augmente légèrement avec le troisième apport (+228 €/ha avec apport contre +214 €/ha sans apport).

Le dernier apport est donc très mal valorisé en termes de retour sur investissement. Sur la saison 2019 – 2020 en particulier, la légère hausse de rendement observée ne compense pas le coût du dernier apport azoté. Par ailleurs, le dernier apport ayant pour objectif d’assurer la nutrition de la plante et d’augmenter la teneur en protéines des grains, il est possible que la sécheresse ait également impacté la teneur en protéine des grains. Dans ce cas, le prix de vente pourrait être diminué, ce qui aurait également des conséquences sur le retour sur investissement.

Retour sur investissement

Les rendements et les plus-values estimés par Cropwin® ont été comparés entre les deux saisons et sur les quatre parcelles avec les trois apports d’azote (Tableau 1). La moyenne des rendements atteints est de 3.1 T/ha pour la saison 2019 – 2020, soit une baisse de 22% par rapport à la saison précédente (-0.9 T/ha). En supposant un prix de vente de 150 €/ha, la plus-value est également très affectée : on observe une baisse de 30% par rapport à la saison précédente (-70 €/ha).

Les baisses de rendement prédites sont plus importantes sur des sols de type argileux (-22 %) que sur les sols limoneux (-16%). Les baisses des plus-values seront également affectées par la texture du sol (-85 €/ha sur les sols argileux contre -57 €/ha sur les sols limoneux).

Tableau 1 : Comparaison des rendements et des plus-values estimés par Cropwin® entre les saisons, sites et parcelles

Conclusions

Cropwin® confirme une baisse significative des rendements en blé de la campagne 2019 – 2020. L’outil prédit une perte de 22.5% en moyenne en comparaison à la saison précédente, mais des pertes plus importantes pourraient être observées, en particulier sur les sols riches en argiles qui crevassent en période de sécheresse. Les revenus des agriculteurs devraient également être significativement affectés par la sécheresse, du fait de la perte de rendement mais également de la baisse des teneurs en protéines en lien avec la moindre efficacité des apports d’azote et l’arrivée d’un fort stress en eau en période montaison des blés.

Grâce à son modèle de prédiction, Cropwin® est une solution qui permet d’adapter les pratiques culturales afin d’optimiser les rendements et les retours sur investissement. Dans cette situation par exemple, l’outil préconise de supprimer ou de décaler le dernier apport azoté afin d’éviter les pertes par volatilisation. Des constats similaires ont été effectués sur des parcelles en France pour la saison en cours, où là encore des baisses sensibles de rendement sont attendues cet été[i].

Pour aller plus loin

Cropwin® a été développé pour optimiser le pilotage de l’irrigation et le fractionnement de la fertilisation azoté en grandes cultures (blé, soja, maïs grain et ensilage).  L’outil s’adresse aux techniciens agricoles pour les appuyer dans le conseil et aux agriculteurs pour les conforter dans la prise de décision agroéconomiques. Aujourd’hui Cropwin est phase de pré-commercialisation auprès d’acteurs majeurs en France et en Afrique.


[i] Les prévisions de rendement révisées à la baisse. (2020, Mai 19). La France Agricole. https://www.lafranceagricole.fr/actualites/cultures/union-europeenne-les-previsions-de-rendement-revisees-ala-baisse-1,13,2954760489.html?utm_source=FAA&utm_medium=infoquotidienne&utm_campaign=mailnumero#sd_source=&sd_id=

[i] Campagne agricole 2019 – 2020 : Baisse de 42% de la production céréalière. (2020, Avril 22). Bourse News.

https://www.boursenews.ma/article/actualite/campagne-agricole-2019-2020-baisse-de-42-de-la-production-cerealiere

[ii] Optimiser l’alimentation de la plante en fractionnant l’azote. (2014). ARVALIS-CETIOM Infos Janvier. Consulté sur https://www.arvalis-infos.fr/_plugins/WMS_BO_Gallery/page/getElementStream.jspz?id=24073&prop=file

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