L’apiculture tourne à plein régime pendant le confinement : que se passe-t-il ? Une analyse factuelle et pédagogique
Pendant que les citoyens français sont confinés, les abeilles travaillent avec acharnement. Elles butinent. Elles butinent si bien que la majorité des apiculteurs s’accordent déjà pour le dire : l’année 2020 semble bien démarrer pour la production de miel dans le nord de la France. Certains apiculteurs affirment qu’il s’agit d’un cru exceptionnel, d’autres d’une remise à niveau par rapport aux années précédentes, plus déficitaires. Les conclusions sur le cru 2020 devront être cependant tirées en fin de saison.
Mais alors que la filière est dans la difficulté depuis la fin du XXème siècle pour des raisons multifactorielles sur lesquelles nous allons nous attarder ci-dessous, cette hausse du rendement pose question. Et c’est légitime dans ce contexte de confinement !
Tout comme pour la pollution atmosphérique, l’agriculture est encore pointée du doigt. Est-ce, une nouvelle fois, un peu trop facile ? Quel est le rôle du confinement ? Et la météo exceptionnelle dans tout ça ? N’a-t-elle pas joué son rôle ?
Des difficultés multifactorielles affectent la filière depuis les années 1990
Le « Colony Collapse Disorder » (CCD)
29.4 %, c’est le taux exceptionnel de mortalité des abeilles au cours de l’hiver 2017 – 2018. Un chiffre que révèle le ministère de l’Agriculture et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), résultat d’une enquête statistique basée sur les données transmises par 13 631 apiculteurs. La variabilité spatiale de la létalité semble être assez aléatoire et indépendante des pratiques agricoles. En prenant du recul, on comprend que l’apiculture souffre depuis les années 1990. On va jusqu’à parler du syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (en anglais, « Colony Collapse Disorder » : le CCD). Mais que se passe-t-il ?
Une combinaison de stress
D’après la littérature scientifique, de nombreux facteurs affectent la santé des abeilles. Les chiffres varient fortement d’une source à l’autre, d’une année à l’autre, d’une conviction à l’autre, d’un scientifique à l’autre. Mais le caractère multifactoriel est maintenant largement admis par la communauté scientifique (Figure 2, Chauzat et al., 2013). Les stress ne sont d’ailleurs pas additifs. Des combinaisons de stress listés ci-dessous peuvent être un facteur multiplicatif de la mortalité. Par exemple, une exposition aux pesticides pourrait affaiblir la colonie, la laissant en proie aux maladies et acariens. L’acarien « varroa », cité par tous, semble être le facteur principal de la létalité des abeilles.
Mais il est a noter que dans de nombreux cas, l’origine de la mortalité reste à ce jour indéterminée. La science a encore du travail avant de consolider de nombreuses hypothèses. La liste est longue :
- Les maladies et parasites : d’après l’Anses, les abeilles meurent dans 69 % des cas de maladies parasitaires ou virales : varroa, paralysie aiguë, loque américaine ou européenne, nosémose, virus des ailes déformées, mycoses, virus de la cellule royale noire… Le varroa en particulier, acarien responsable à lui seul de 15% des cas de mortalité (au moins !), affaiblit le système immunitaire de l’abeille et la rend sensible aux virus. Bien maîtrisé par les acaricides dans les années 1980, il serait devenu résistant dans les années 1990 et plus difficilement maîtrisable.
- De mauvaises pratiques apicoles : en Europe, un peu plus de 10% des cas sont notamment dus à l’utilisation d’acaricides interdits.
- Les produits phytosanitaires : de nombreuses études indiquent, sans conteste, la nocivité d’une famille de molécules véhiculées par les pesticides : les néonicotinoïdes. Soumise à cette famille de molécules, les abeilles sont désorientées et ne rentrent plus à leur ruche. L’European Food Safety Authority confirme officiellement ce risque. Ces molécules sont d’ailleurs interdites depuis 2018 dans toute l’Europe. Notons cependant que le varroa a entraîné une importante surmortalité aux USA avant la mise sur le marché du premier néonicotinoïde. En 2013, les intoxications phytosanitaires n’expliquent que 5% des cas mais certaines études en bio pointent des bénéfices.
- Les espèces invasives : comme tous les insectes, l’abeille a ses prédateurs. Ils peuvent agir de façon directe, comme le frelon asiatique qui sévit depuis 2005 en France, probablement importé dans des cargos en provenance d’Asie. Ils peuvent également agir de façon indirecte comme la Cynips du Châtaignier (une autre guêpe chinoise arrivée elle aussi en 2005, décidément !) qui s’attaque aux fleurs et prive les abeilles de cette ressource essentielle.
- Les conditions climatiques : elles ne sont pas à négliger. Les longues périodes de mauvais temps ou de basses températures empêchent les abeilles de récolter du nectar et du pollen. Le froid entraîne une consommation accrue de nourriture afin de maintenir la chaleur de la ruche.
- L’alimentation : la réduction de la biodiversité florale, du fait de la monoculture et des paysages transformés par l’homme, réduit les ressources alimentaires quantitativement mais aussi qualitativement. La diversité qualitative des ressources ainsi qu’une alimentation suffisante sont deux facteurs importants pour le système immunitaire et la santé. Un cercle vicieux se forme : la diminution de la diversité et du nombre des plantes à fleurs affaiblit les pollinisateurs et diminue leur nombre, ce qui ne fait qu’accroître en retour la raréfaction des fleurs du fait d’une moindre pollinisation.
Maintenant que nous avons vu le contexte des difficultés que rencontre l’apiculture depuis les années 1990, nous allons examiner les hypothèses rencontrées dans la presse et qui expliquent l’essor actuel de production de miel dans le nord de la France.
Hypothèse 1 : la production de miel a bénéficié de la baisse de l’activité agricole avec le confinement
C’est l’hypothèse principale qui ressort à la lecture de différents articles journalistiques de ces derniers jours. D’après l’Anses, la mortalité des abeilles directement due aux pesticides est de moins de 10% (figure 2, Chauzat et al., 2013). Ce taux est une moyenne. Il peut y avoir des variabilités spatiales et temporelles.
De plus, l’agriculture est le secteur économique le moins affecté par la crise du coronavirus. Les agriculteurs entreprennent donc les travaux habituels dans les champs. Cette hypothèse n’est donc que très peu probable.
Hypothèse 2 : la production de miel a bénéficié de la baisse générale des activités humaines liée au confinement
Une autre hypothèse, difficilement vérifiable sans le recul temporel nécessaire, est la baisse de l’activité humaine : moins de déplacements, plus de bords de route non dégagés, de parcs non tondus, etc. Cependant, plusieurs apiculteurs isolés (i.e. loin des milieux urbains) font part également d’une importante hausse de la production. Cette hypothèse, bien que plausible, ne semble donc pas être la cause principale de la hausse de la production.
Dans ce même contexte, on peut également imaginer qu’avec le confinement, les apiculteurs aient plus de temps pour s’occuper des abeilles. Mais cette hypothèse, bien que plausible, ne peut pas être vérifiable scientifiquement.
Hypothèse 3 : la production de miel a bénéficié des canicules de juin et juillet 2019
Le varroa est un acarien responsable à lui seul de 15% des cas de mortalité (voir explications ci-dessus et figure 2). Les acariens ont une réponse à la température dite « en cloche ». Le varroa a une température optimale de développement comprise entre 30 et 34°C. Cet acarien est cependant connu pour être sensible aux hautes températures. Au-dessus de 40°C, les acariens meurent. Il est d’ailleurs connu que le traitement par l’hyperthermie élimine cet acarien.
Les hyper-canicules de juin 2019 (46°C) et juillet 2019 (43°C) ont donc pu avoir un effet important sur le développement de cet acarien. Les conséquences pourraient être visibles cette année. Cependant, des études montrent que les hivers doux et pluvieux sont favorables au développement de l’acarien… Cette hypothèse est donc à confirmer par des études scientifiques ultérieures.
Hypothèse 4 : la production de miel a bénéficié de conditions climatiques exceptionnelles
Un beau printemps de confinement !
Indépendamment des activités humaines, les conditions climatiques depuis ce printemps ont été exceptionnelles, notamment dans le nord de la France. Elles ont été remarquables sur trois variables : la douceur, l’ensoleillement excédentaire et les précipitations, déficitaires (au grand dam des personnes confinées !).
D’après Météo-France, après l’hiver le plus doux depuis 120 ans, le mois d’avril ne fait pas exception. C’est le 11ème mois consécutifs où la température est excédentaire en France (figure 3). C’est inédit depuis le début des mesures en France.
Avec une température moyenne quotidienne d’au moins 14,0°C (figure 4), ce mois d’avril 2020 se positionnera à la troisième place des mois d’avril les plus chauds depuis le début des mesures en France, derrière 2007 (14,8°C) et 2011 (14,5°C), devant 2018 (13,8°C). C’est surtout le nord de la France qui est concerné. L’anomalie par rapport à la normale (1981-2010) pourra même dépasser 4 °C comme à Paris, Lyon ou au Mans, voire atteindre 5 °C localement dans le nord-est du pays (source : www.infoclimat.fr).
Couplée à cette douceur, une sécheresse de surface s’est mise en place dès le début du printemps sur le nord de la France. Le début de l’année très pluvieux a cependant garanti la croissance des fruitiers et des cultures annuelles jusqu’à la floraison. Du 17 mars au 1er mai, il est localement tombé moins de 20mm sur le nord-est de la France (figure 5) ! A Saint Dizier (figure 6), il n’est pas tombé une seule goutte de pluie mesurable entre le 14 mars et le 26 avril (soit 44 jours !). L’ancien record de 35 jours de 1959 est très largement battu !
L’ensoleillement a été optimal, avec plus de 400 heures vers la frontière luxembourgeoise entre le 22 mars et le 30 avril ! C’est inédit pour un début de printemps (figure 7).
Ces conditions météorologiques ont été plus qu’idéales au butinement des abeilles. La longueur de l’événement a permis une fenêtre de butinement exceptionnelle. Certains apiculteurs parlent d’une situation similaire à celle de 1976, année de la Grande Sécheresse. De plus, avec cette douceur hivernale, les abeilles n’ont certainement pas eu besoin de puiser dans les réserves de la ruche pour y maintenir une température viable.
Une végétation en avance et en forme !
Cette douceur et l’excès de précipitation en hiver ont permis une floraison précoce et durable de l’ensemble de végétaux. La sécheresse de surface n’a eu d’effets qu’à la fin de la période. Le gel tardif de mars semble n’avoir eu que peu d’effets sur la floraison à l’échelle de la France.
Cette synchronisation entre :
- une excellente fenêtre de butinement
- des végétaux à la fois réceptifs et ayant eu un développement précoce
est l’hypothèse la plus plausible, expliquant la précocité et la quantité de ce cru de miel 2020. A suivre pour le reste de l’année, notamment avec le risque de sécheresse…
Pour l’équipe d’ITK-Labs,
Serge Zaka, agroclimatologue
Vous avez d’autres hypothèses ? Merci de nous les partager !
Bonjour une observation sur les fortes gelé ayant détruit complètement une partie des fleurs et feuillage tendre on réduit fortement le stock de nourriture. Ceci peux ce transcrire sur une des carte. Nous avons perdu le gaucho sur et le rendement qui va avec cette culture d orge d hiver récoltée précocement ce qui ne sera pas le cas cette année (cause verdillon épis chétif très attardé) cette récolte précoce nous permettait d implanter des cultures de fin d été avec floraison décalé pour nourrir nos abeilles. J ai une grande crainte cette année sur ces implantation qui ne pourrons se faire à temps !!!!!!! La suppression du gaucho sur orge est dramatique !!!!!!!!! Je suis plus très loin de la retraite je suis désoler de rendre les armes face à un tel désastre….. En bref démerder vous !!!!!!
La suppression du gaucho sur orge est dramatique !!!!!!!!! No Comment !!!!
merci pour ce travail honnête et juste daprès mes observations sur le terrain.
V.Quint
Merci beaucoup pour ce travail très précis et complet et qui rejoint ma propre analyse, plus sommaire, de la situation. La météo est la principale cause du très bon début de campagne apicole en 2020, comme elle était la cause principale de la campagne catastrophique de 2019 (printemps frais et humide puis été caniculaire dès juin). Le reste, c’est à mon avis très secondaire.
Pour ma par je suis d’accord avec l’étude, les températures clémentes et l’avance de la flore (pose de 1ère hausse le 23 mars au lieu du 23 avril , 1 mois avant) Bonne production et essaimage très top !
Merci pour cette étude qui en tant qu’apicultrice professionnelle depuis des décennies me semble refléter la réalité que l’on vit en ce printemps 2020. Le facteur météorologique prime sur les autres paramètres
Analyse multifactorielle très complète et objective qui mériterait une diffusion à grande échelle et aux heures de larges audiences du grand public sur les médias nationaux (ce qui nous changerait un peu du lavage de cerveau habituel !).
Bravo et merci
Les raisons des mortalité avancées par l’ANSES sont remises en causes tous les 5 ans, les protocoles de testage des phytos n’étant pas adaptés.
Si on avait écouté l’ANSES les néonicotinoïdes etaient bon pour les abeilles !
Le fait de classifier les causes de mortalité en multifactorielle et en priorisant les maladies et parasites, c’est complètement passer a côté qu’un organisme (une colonie) affaiblit par des causes difficilement mesurable car en micro dose (les phytos) est beaucoup plus sensible aux parasites qui eux sont très facilement mesurables
Bonjour,
J’y pensais justement. Le paragraphe a été précisé :
« Les stress ne sont d’ailleurs pas additifs. Des combinaisons de stress listés ci-dessous peuvent être un facteur multiplicatif de la mortalité. Par exemple, une exposition aux pesticides pourrait affaiblir la colonie, la laissant en proie aux maladies et acariens. »
Si on observe attentivement cette étude ( https://www.nature.com/articles/s41598-019-44207-1 ), c’est plutôt l’inverse : Pas d’impact des NNI sur une ruche saine. Par contre, une ruche parasitée par le varroa présente un risque de mortalité supérieure avec les NNI. Ce qui est logique puisque le varroa se nourrit du corps gras de l’abeille qui est aussi une sorte de « foie » détoxificateur pour l’insecte.
Donc, ce ne sont pas les phytosanitaires qui sensibilisent l’abeille aux parasites. Ce sont les parasites qui rendent les abeilles plus sensibles aux phytosanitaires.
Ne pas oublier les essaimages de plus en plus fréquents même sur des petites colonies.
Je pense que ces essaimages sont la réponse aux varroas, le fait de changer fréquemment de couvain permet de se débarrasser du varroa. Les solutions acaricides actuelles sont très néfastes car elles affaiblissent les défenses immunitaires de l’abeille.
Excellent et, cerise sur le gâteau, documenté.
Le (mini-)barouf médiatique a, une fois de plus, pour origine l’incompétence et le manque de jugeotte de « journalistes ».
Votre analyse rejoint celle d’apiculteurs, notamment :
https://www.rtbf.be/info/regions/detail_les-abeilles-se-portent-mieux-aucun-rapport-avec-le-covid-bonne-nouvelle-a-relativiser?id=10493680
https://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2020/05/02/les-abeilles-ont-butine-comme-des-folles-en-avril
Mais, pour les avantages éventuels du bio, on peut avoir de gros doutes sur la pertinence de la Bretagnollade que vous avez citée :
http://seppi.over-blog.com/2019/07/abeilles-et-agriculture-biologique-etes-vous-serieux-cnrs-et-inra.html
Documenté? Il ne me semble pas voir d’enquête ou d’étude prouvant que l’année 2020 est une bonne saison pour l’instant. Si c’est une bonne saison sur quelle miellée exactement ? Toutes les miellées et tous les bassins de production ne sont peut-être pas concernés.
Bonjour,
L’article reste tout de même nuancé dans son premier paragraphe mettant en avant les disparités régionales et intra-annuelles.
« Elles butinent si bien que la majorité des apiculteurs s’accordent déjà pour le dire : l’année 2020 semble bien démarrer pour la production de miel dans le nord de la France. Certains apiculteurs affirment qu’il s’agit un cru exceptionnel, d’autres d’une remise à niveau par rapport aux années précédentes plus déficitaires. Les conclusions sur le cru 2020 devront être cependant tirées en fin de saison. »
Une chose que j’ai remarque ici dans le Tarn le nombre de fleurs sauvages dans les fossés qui ne sont plus Tondu n’y debroussallier
Réponse à PIK
Au Canada, les apiculteurs de l’Ontario (beaucoup d’amateurs) ont fait de l’activisme anti-néonicotinoïdes pour les faire interdire.
Ceux de l’Alberta ont refusé de se joindre à eux. Ils font des récoltes de miel record, en partie grâce au canola (colza) protégé par des néonics en enrobage des semences.
Les apiculteurs australiens ne se plaignent pas non plus des néonics…
Cette année, beaucoup de d’arbres fruitiers, et aromatiques, ont fleuris très t^tot – les abeilles se sont manifestées très rapidement et longtemps – UN PLAISIR à observer !
je voudrais faire une remarque…
la santé des abeilles domestiques est l’affaire des apiculteurs seuls…
un apiculteur n’a absolument aucun droit légitime de se plaindre qu’un produit néfaste pour ses abeilles est utilisé sur un terrain privé..
ce qui me choque est le comportement d’ne frange d’apiculteur qu s’arroge pourtant ce droit… c’est le monde à l’envers!!
si il y a une question de nature « collective » et elle concerne la faune sauvage pas les espèces domestiques…
bonjour,
excellent blog/site !
une précision pour le Cynips, parasite des bourgeons de châtaigniers.Même sur la variété la plus sensible (marigoule ou M15), il n’empêche pas ou peu la floraison, ou plus exactement, l’émission de châtons, porteur de pollens. (photos annuelles a l’appui, que je peux transmettre)
par contre oui, les fleurs femelles me semblent plus rares, depuis 2 ans..depuis une attaque massive qui a été calmée par les gelées tardives du 8 mai 2017.