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Agronomie

Année internationale de la santé des plantes 2020 : Utilisation des images satellitaires pour une surveillance précise et durable de l’état physiologique des cultures

Marcel El HAJJ
2 décembre 2020
Pas de commentaires

Résumé

Des pratiques culturales adaptées permettent de préserver un cycle de croissance végétal sain, réduisant ainsi le risque de pertes de rendement. Toutefois, la détection précoce des stress est, dans la plupart des cas, complexe (notamment à l’échelle régionale). Cette année 2020 est l’année de la santé des plantes, comme déclaré par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Nous avons choisi d’aborder le sujet de la télédétection, de plus en plus utilisée pour des applications en agronomie. Cet article présentera donc :

  • Les progrès réalisés ces dernières années en télédétection, en particulier dans l’utilisation de la télédétection pour déterminer l’état des cultures à l’échelle régionale.
  • Diverses applications de la télédétection en agronomie liées au suivi de l’état physiologique des plantes, qui est corrélé à la santé des plantes.

Dans le cadre des missions « Sentinelle » de l’Agence spatiale européenne (noté ESA pour European Spatial Agency en anglais), des satellites Radar à Synthèse d’Ouverture (RSO) et Optiques ont été mis en orbite. Ils permettent l’estimation et la cartographie de différents indicateurs et facteurs biophysiques. Ces indicateurs et facteurs sont directement et/ou indirectement liés à l’état de santé des plantes. Les applications représentées dans cet article sont liées :

  • à la teneur en chlorophylle des feuilles, estimée directement à partir d’indices de la télédétection optique.
  • au suivi de la phénologie de la culture au travers d’une modélisation Gaussienne de la dynamique temporelle des données de télédétection RSO.
  • au calcul de la teneur en eau du sol, estimée à partir de l’amplitude de rétrodiffusion des données RSO.
  • à l’évapotranspiration des plantes et à la consommation d’eau, calculées à l’aide d’un modèle de bilan énergétique alimenté par des informations issues de la télédétection.
  • à la détection de la sécheresse, qui s’appuie sur un indicateur d’anomalies calculés à partir d’une série temporelle multi-annuelles de l’indice de végétation par différence normalisée (NDVI). Le NDVI est issu de la télédétection optique.
  • à l’utilisation de variables biophysiques de télédétection pour alimenter et améliorer les sorties des modèles de croissance des cultures (ex :  LAI, NDVI, ET etc).

La technologie de télédétection doit permettre de surveiller les cultures et la production alimentaire. Compte tenu des différents défis et stress provenant de différentes sources, il est plus que jamais nécessaire de prendre des mesures pour maîtriser la sécurité alimentaire mondiale.

Introduction

L’Assemblée générale des Nations Unies a déclaré 2020 « Année internationale de la santé des plantes ». Cette année est une occasion unique pour sensibiliser le monde sur la façon dont la protection des cultures peut ainsi aider à réduire la faim, la pauvreté, protéger l’environnement et stimuler le développement économique (http://www.fao.org/plant-health-2020). Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 40 % des cultures vivrières sont perdues chaque année en raison des ravageurs et des maladies, ce qui expose chaque année des millions de personnes à une alimentation insuffisante. Ceci met en danger la sécurité alimentaire mondiale, en particulier pour les communautés rurales pauvres.

Ces menaces sont d’autant plus coûteuses et difficiles à éradiquer qu’elles sont identifiées tardivement. Ainsi, il est essentiel de suivre régulièrement l’état phytosanitaire à grande échelle pour réduire les pertes. Dans ce contexte, l’intérêt pour la télédétection a considérablement augmenté au cours des dernières années, principalement en raison de son potentiel pour surveiller des larges zones agricoles hétérogènes (Nasrallah et al., 2018).

La télédétection désigne essentiellement l’acquisition d’informations sur un objet par l’intermédiaire d’un capteur de mesure n’ayant pas de contact avec l’objet étudié (i.e. capteur situé à quelques mètres du sol, embarqué sur un avion ou sur un satellite). Il existe deux types de capteurs utilisés dans le domaine de la télédétection spatiale : les capteurs passifs (optiques) et actifs (radars). Les capteurs optiques sont généralement sensibles aux conditions météorologiques (c.-à-d. non-exploitables en présence de nuages), car leur mode d’opération consiste à enregistrer la lumière solaire réfléchie avec une courte longueur d’onde (entre ~ 490 nm et ~ 2280 nm), enregistrant ainsi plusieurs bandes (longueur d’ondes) dans le domaine du visible, proche infrarouge, thermique etc. En revanche, les satellites radars fonctionnent en envoyant un signal avec une longueur d’onde plus longue allant de ~ 3 cm et à ~ 23 cm et recevant un signal rétrodiffusé par des objets au sol. Ainsi, les nuages ne sont jamais un obstacle pour le signal radar. Cependant, les caractéristiques de la surface (c.-à-d. l’humidité et la rugosité de surface) influencent fortement l’amplitude du signal radar (El Hajj et al., 2017).

Au cours des 6 à 7 dernières années, l’Agence Spatiale Européenne (ESA pour European Spatial Agency en anglais) a fait d’énormes progrès en télédétection spatiale avec le lancement des satellites RSO Sentinel-1 (Sentinel-1A et Sentinel-1B lancés le 3 avril 2014 et le 25 avril 2016, respectivement) et optiques Sentinel-2 (Sentinel-2A et Sentinel-2B lancés le 2 juin 2015 et le 6 mars 2017, respectivement). Les données acquises par ces satellites sont utilisées dans de nombreuses études en télédétection appliquée à travers le monde. Les principaux intérêts des données Sentinelles sont leur gratuité, leur importante répétitivité temporelle (5 jours pour Sentinel-2 et 6 jours pour Sentinel-1, notamment sur l’Europe) et leur haute résolution spatiale (10 m pour Sentinel-1 et -2). En outre, la couverture spatiale des données Sentinelles est énorme : une image Sentinel-1 couvre une superficie de ~ 250 km x ~ 160 km, tandis qu’une image Sentinel-2 couvre une superficie de ~ 110 km x ~ 110 km.

Par conséquent, il est plus pertinent de s’appuyer sur des données satellitaires telles que les données Sentinelles pour surveiller les cultures à grande échelle plutôt que d’utiliser des capteurs in situ, qui sont très coûteux et adaptés à de très petites échelles (c.-à-d. la canopée ou l’échelle du champ).

En ce qui concerne leur utilisation opérationnelle, les plates-formes Sentinelles optiques et RSO ont été intensivement utilisées pour des applications environnementales et agronomiques, comme la production de cartes de classification des cultures, des études portant sur le changement climatique ou l’utilisation de l’eau, ou encore la surveillance des cultures et le calcul d’indicateurs de la santé des cultures. Quelques exemples d’applications directement liées à la santé des plantes sont illustrés ci-dessous.

Estimation de la teneur en chlorophylle

La teneur en chlorophylle est un indicateur significatif de stress, notamment des carences en azote (ESA, 2016). En effet, la teneur en chlorophylle est fortement liée à la teneur en azote (Dmitrieva et al., 1995), ce qui en fait un très bon indicateur de l’état physiologique de la plante.

Depuis l’espace, la teneur en chlorophylle peut être mesurée à l’échelle de la feuille. Elle peut ensuite être estimée à l’échelle de la canopée en multipliant la teneur en chlorophylle des feuilles par l’indice de la surface foliaire (noté LAI pour Leaf Area index en anglais) (Fig.1). Par conséquent, les données de télédétection peuvent fournir des estimations géo-localisées sur la teneur en chlorophylle, qui peut être utilisée comme un proxy du statut azoté de la culture. Ceci représente une opportunité pour aider les agriculteurs à optimiser le calendrier de la fertilisation azotée (Elarab et al., 2015)

Les techniques de télédétection développées pour estimer la teneur en chlorophylle s’appuient sur l’inversion de modèles de transfert radiatif et/ou sur des modèles empiriques et semi-empiriques utilisant principalement les indices spectraux de la télédétection comme une variable prédictive (Daughtry et coll. 1999). Dans ce contexte, diverses études ont montré que la teneur en chlorophylle des feuilles (noté LCC pour Leaf Chlorophyll Content en Anglais) peut être facilement dérivée des indices issus de données Sentinel-2 à haute résolution spatiale ou de données similaires à Sentinel-2. Un exemple d’indice issu de la télédétection pour l’estimation de la teneur en chlorophylle des feuilles est le rapport des deux indices TCARI (Tansformed chlorophyll absorption) et OSAVI (optimized soil adjusted vegetation index). Quant à la teneur en chlorophylle de la canopée, il a été constaté que la bande bord-rouge (red-edge) est très importante pour avoir une estimation de l’état azoté des feuilles. En conséquence, Gitelson et al. (2003) ont proposé l’indice de chlorophylle bord-rouge, qui est un indice simple basé sur l’utilisation des bandes proche-infrarouge et le bord-rouge. Dans la même étude, une autre version de cet indice (indice de chlorophylle verte) a été présentée. Elle s’appuie sur l’utilisation de la bande verte à la place de la bande bord-rouge. Les deux indices chlorophylle bord-rouge et chlorophylle verte sont dérivés des données Sentinel-2 avec une résolution de 20 m et 10 m, respectivement.

Figure 1: Carte de la teneur en chlorophylle de diverses cultures dérivée de données simulées de Sentinel-2 (Delegido et al., 2011)

Suivi de la phénologie

Afin d’être en mesure de maintenir la bonne santé d’une culture, les agriculteurs et les décideurs doivent suivre son cycle phénologique pour prendre les décisions adéquates concernant différents types d’interventions (irrigation, fertilisation, application de pesticides et gestion des produits) (Nasrallah et al., 2019)

La rareté des précipitations a une incidence importante sur les cultures d’hiver, en particulier dans les zones arides et semi-arides. Dans ce contexte, des irrigations supplémentaires sont nécessaires pour garantir la demande en eau des cultures (Zhang et al., 2008). Cependant, il est très important de connaître la phase phénologique de la culture pour assurer une efficacité élevée de l’utilisation de l’eau (noté WUE pour Water Use Efficiency en Anglais) et donc une meilleure santé des plantes. De même, il est très important de connaître la phase phénologique de la culture pour une plus grande efficacité de l’utilisation de l’azote (noté NUE pour Nitrogen Use Efficiency en Anglais) et de meilleurs résultats lors de l’application de pesticides/fongicides (Quemada et al., 2016). En outre, une identification précise du stade phénologique courant aiderait à éviter diverses conséquences (augmentation des maladies fongiques et verse des tiges).  Ainsi, pour assurer la santé des plantes, comprendre et suivre le cycle phénologique des cultures est très important.

Quelques études ont utilisé des séries temporelles des données de télédétection Sentinel-1 (RSO) pour suivre l’évolution de différents types de cultures (Veloso et al., 2017; Baghdadi et al., 2009). Dans ce contexte, des études récentes ont déterminé la phénologie de la plante durant l’ensemble du cycle de cultures à partir de séries temporelles denses des données RSO à différentes configurations d’acquisition (Fig. 2). L’objectif est d’utiliser l’évolution temporelle des données RSO pour extraire avec des modèles des tendances particulières accentuées par les stades phénologiques. Contrairement à celles dérivées des satellites optiques, les données obtenues à partir de satellites RSO ont permis d’identifier des dynamiques particulières, liées au cycle de croissance des cultures (Nasrallah et al., 2019). Dans le cas du blé, par exemple, les données RSO ont montré une dynamique Gaussienne (Fig.2) permettant d’identifier au moins trois stades de croissance (c.-à-d. germination, épiaison et pâteux mou) en plus la date de coupe.  La figure 2 montre une modélisation gaussienne de l’évolution temporelle de la rétrodiffusion RSO. Des points d’inflexion sont observés sur la courbe de la rétrodiffusion RSO et celle de la modélisation Gaussienne associée. Ils correspondent au début des différents stades phénologiques. Ces points d’inflexions ont été repérés automatiquement par analyse de signal et les stades phénologiques germination, épiaison et pâteux mou ont été déterminés (Nasrallah et al., 2019).

Depuis que l’Agence spatiale européenne (ESA) a lancé son premier satellite Sentinel-1A (résolution spatiale de 10 m), des séries temporelles gratuites des données RSO avec un pas de temps de 12 jours sont disponibles pour une utilisation opérationnelle. Lorsque le satellite Sentinel-1B a été lancé, en avril 2016, la période de revisite est passée de 12 à 6 jours. Étant donné que le fonctionnement des données Sentinel-1A et -1B est garanti jusqu’en 2030, un suivi des cultures ininterrompu, gratuit et précis est assuré jusqu’à cette date.

Teneur en eau du sol

La teneur en eau accessible aux plantes contenue dans un sol (appelée Réserve Utile « RU ») est une composante clef du rendement. Les interactions sol-atmosphère et les dynamiques de flux d’eau des nappes phréatiques souterraines mènent à découper le sol en deux compartiments (ou horizons) ayant chacun leur propre teneur en eau : l’horizon de surface (5 à 7 premiers centimètres), directement en dessous duquel se trouve l’horizon racinaire, qui retient l’eau utilisée par les racines. Un déficit d’eau dans l’horizon racinaire peut entraîner des pertes de rendement ou la mort de la plante, tandis qu’un excès d’eau dans ce même horizon peut favoriser l’apparition de maladies. Étant donné que la Teneur en Eau de l’Horizon de Surface (TEHS) est liée à celle de l’horizon racinaire du fait de processus de diffusion (Mahmood et al., 2007; 2012), la TEHS constitue donc un indicateur de santé de la plante.

La télédétection RSO a dans un premier temps été largement utilisée pour estimer la TEHS car l’amplitude de la rétrodiffusion radar est sensible à la variation du niveau d’humidité du sol (la rétrodiffusion RSO augmente avec la TEHS) (Baghdadi et al., 2012). De nombreuses études ont montré le potentiel de la télédétection RSO à cartographier la TEHS avec une précision de 5 Vol.% environ (Srivastava et al., 2009; Baghdadi et al., 2012; Zribi et al., 2005). Pour ce qui est des limitations, quand la couverture de la canopée est élevée (NDVI > 0.7), cartographier la TEHS sous la canopée est impossible car l’onde RSO est complètement atténuée par le couvert végétal dense (avec une forte teneur en eau de la canopée). Enfin, la cartographie de la TEHS à partir des données RSO est imprécise pour des sols ayant une forte rugosité (ces sols sont peu représentatifs des cultures largement répandues, comme le blé ou le soja).

L’arrivée de Sentinel-1A et -1B avec des propriétés révolutionnaires (données gratuites, large couverture, forte répétitivité temporelle et haute résolution spatiale) a poussé les chercheurs à développer des méthodes opérationnelles pour cartographier la TEHS depuis l’espace. Actuellement, il existe des méthodes permettant une cartographie continue de la TEHS à l’échelle parcellaire tous les 6 jours au moins (en Europe) (Fig. 3 & 4) (El Hajj et al., 2017). Des exemples de produits de TEHS élaborés à partir de la télédétection RSO peuvent être facilement consultés ici : https://www.theia-land.fr/en/product/soil-moisture-with-very-high-spatial-resolution.

Figure 3: Cartes de TEHS animées à l’échelle parcellaire issues d’une série temporelle Sentinel-1 sur Vienne (Autriche) ( El Hajj et al., 2017)
Figure 4: Cartes de TEHS animées à l’échelle parcellaire issue d’une série temporelle Sentinel-1 sur la plaine de Haouz, Maroc  (El Hajj et al., 2017)

Évapotranspiration

L’évapotranspiration (ET) est l’une des composantes les plus importantes du cycle de l’eau et a été largement étudiée dans diverses disciplines (ex. hydrologie, agriculture et climat) (Mhawej et al., 2020). La mesure de l’ET est cruciale pour évaluer l’état des interactions plante-sol et permet donc d’assurer un état physiologique sain des plantes. Toutefois, les méthodes de mesures directes de l’ET sont relativement peu nombreuses (ex : tours de flux), compliquées et coûteuses. Par conséquent, l’attention s’est accrue sur l’utilisation des techniques de télédétection pour assurer des observations et une surveillance spatialement et temporellement continues de l’ET (Trambauer et al., 2014).

Récemment, le produit d’ET obtenu par télédétection spatiale a été remarquablement avancé et a été considéré très prometteur pour combler le manque d’observations in situ. Notez que l’ET ne peut pas être mesurée directement par télédétection (Senay et al., 2013; Miralles et al., 2015). Au lieu de cela, en utilisant les variables physiques (c’est-à-dire les flux de chaleur latente et de surface) d’un modèle de bilan énergétique de surface, l’ET est estimée par télédétection. Par conséquent, l’ET dérivée par télédétection (figures 5 & 6) ne peut pas être interprétée de la même manière que des observations directes par satellite et devrait plutôt être interprétée comme une sortie du modèle de bilan énergétique de surface basée sur l’assimilation de données de télédétection (Weerasinghe et al., 2020).

Ainsi, pour estimer l’ET, plusieurs algorithmes de bilan énergétique de surface ont été proposés : Surface Energy Balance Algorithm for Land (SEBAL) (Bastiaanssen et al., 1998a; 1998b), Mapping EvapoTranspiration at High Resolution using Internalized Calibration (METRIC) (Allen et al., 2007), Surface Energy Balance Index (SEBI), Surface Energy Balance System (SEBS) (Su et al., 2002) et ET-Watch.

L’objectif principal derrière l’estimation de l’ET à l’aide de ces algorithmes est d’évaluer la santé des plantes en calculant les besoins en eau des cultures, en estimant la productivité à l’échelle de la parcellaire et en calculant la productivité de l’eau et son score correspondant.

Figure 5: Carte d’ET du blé d’hiver estimée sur la région de la Bekaa, au Liban, entre novembre 2017 et juin 2018 (Mhawej et al., 2020)
Figure 6: Tendance d’ET moyenne des céréales d’hiver entre novembre 2017 et juin 2018  (Mhawej et al., 2020)

Détection de la sécheresse

La sécheresse est un phénomène naturel qui se produit lorsque les précipitations sont inférieures à la moyenne dans une zone donnée pendant une longue période. Son niveau de sévérité varie selon les conditions météorologiques, l’occupation des sols et l’emplacement géographique. La sécheresse impose un stress abiotique aux cultures, caractérisé par une disponibilité réduite de l’eau dans le sol, ce qui entraîne une baisse significative du rendement la plupart du temps.

Le suivi des cultures est essentiel pour assurer la bonne santé des plantes, en particulier en période de sécheresse, car il permet de prendre des mesures correctives pour assurer un rendement élevé à la fin de la saison de culture.

Cependant, la surveillance des conditions météorologiques (précipitations, température et humidité relative de l’air) de nombreuses parcelles à l’échelle régionale pourrait ne pas toujours être suffisante pour évaluer l’état de santé des plantes et prendre des mesures correctives pendant une période de sécheresse. Dans ce contexte, la technologie de télédétection peut être un atout majeur en raison de sa capacité à capturer la variabilité spatiale et temporelle.  L’indice de végétation par différence normalisé (NDVI) obtenu grâce à la télédétection optique est largement utilisé pour évaluer si une culture est stressée du fait de la sécheresse. En effet, il permet de prédire jusqu’à quel niveau une culture a été endommagée car il est bien corrélé avec l’activité photosynthétique de la végétation. À titre d’exemple, la figure ci-dessous  (Fig. 7)  montre  les  cartes NDVI dérivées des données Sentinel-2 pour une même date en 2019 et 2020 au-dessus du Maroc. Cette région a été touchée par une grave vague de sécheresse en 2020, mais pas en 2019. En interprétant les valeurs du NDVI, on peut clairement voir que  la  végétation était « en meilleure santé »  en 2019 (NDVI  > 0.4) qu’en 2020  (NDVI < 0.2).

Par conséquent, à l’aide des séries temporelles des images optiques, plusieurs indicateurs de quantification de la sévérité de la sécheresse ont été proposés. Ces indicateurs sont potentiellement opérationnels et donc faciles à appliquer et à mettre en service, puisqu’ils n’utilisent que des images de télédétection. L’un de ces indicateurs est l’indice de condition de végétation (VCI) (Kogan, 1995) qui varie entre 0 et 100, comme suit :

où NDVIt est le NDVI à une date donnée t,  NDVImin est le NDVI minimum sur plusieurs années calculé à l’aide de toutes les images NDVI disponibles pour le mois contenant la date t, et  NDVImax est le NDVI maximum calculé sur plusieurs années à l’aide de toutes les images de NDVI disponibles pour le mois contenant la date t.

Dans les zones de végétation, le VCI varie du cas d’une canopée à l’état sec (VCI = 0) à un état de développement maximal (VCI = 100). Selon Amalo et al. (2017), deux classes de sécheresse peuvent être définies : la sécheresse extrême à modérée : VCI≤20 %; pas de sécheresse : VCI> 20 %.

Modèles de croissance de culture – Assimilation de données de télédétection

Les modèles de croissance de culture sont constitués d’un ensemble d’équations mathématiques simulant les interactions sol-plante-atmosphère et donnant une estimation, entre autres variables, de paramètres d’état de la plante à un pas de temps journalier (par exemple la biomasse aérienne, l’évapotranspiration, l’humidité du sol, etc…). Afin d’assurer des résultats satisfaisants, de tels modèles ont besoin de données d’entrées décrivant le sol et la plante. Ces données sont souvent hétérogènes même sur des surfaces restreintes (pour différents sols et espèces de plante).

Cependant, accéder à de telles variables d’entrée à l’échelle d’une région est un défi. En effet, leur obtention par des mesures terrain ou à l’aide de capteurs ponctuels n’est pas faisable du fait de la forte variabilité spatiale, même sur une petite surface, et du coût en temps et en argent ainsi que de la présence d’experts qu’elle nécessite.

La disponibilité de données satellitaires gratuites à forte résolution spatiale et haute répétitivité temporelle rend faisable l’acquisition d’informations à une échelle spatiale large (région). La plus-value des images de télédétection utilisées dans les modèles de culture réside dans leur capacité à fournir des informations répétitives à l’échelle parcellaire ou intra-parcellaire.

Le paramètre le plus couramment dérivé de la télédétection, qui peut être utile en entrée des modèles de croissance de culture pour améliorer la qualité de prédiction du modèle, est l’indice de surface foliaire (noté LAI pour Leaf Area Index en anglais). Cet indice est directement relié à la biomasse aérienne et au rendement (Monteith, 2013). Le LAI n’étant pas dérivé directement d’un ratio de différentes longueurs d’onde de télédétection comme c’est le cas pour d’autres indices (par exemple NDVI ou SAVI), plusieurs méthodes pour l’estimer à partir d’images satellites ont été proposées dans la littérature. Des études affirment que des indices de végétation (essentiellement le NDVI) peuvent être de bons estimateurs du LAI, à l’aide de modèles linéaires et non linéaires (Bsaibes et al., 2009). Cependant, plus récemment, le traitement de bandes spectrales par des modèles faisant appel à des réseaux de neurones a diminué l’incertitude dans l’estimation du LAI. Ainsi, en remplaçant le LAI estimé par le modèle de culture par un LAI issu d’images satellitaires, la prédiction du rendement par les modèles pourrait être améliorée (Pinstrup-Andersen, 2000). En outre, des séries temporelles de LAI à l’échelle de la parcelle pourraient être utilisées pour ajuster le modèle de culture à différents contextes environnementaux afin d’en améliorer la qualité de prédiction, tout en réduisant l’erreur et le biais induit.

Plusieurs modèles de croissance de culture ont été utilisés pour estimer le développement de la plante, ainsi que pour surveiller son cycle et évaluer l’état final du système de culture (par exemple CropSyst, DSSAT, APSIM, CROPGRO, DAISY, WOFOST, STICS, Cropwin-ITK). Cependant, calibrer la phénologie (stades de développement) peut s’avérer ardu et nécessite des mesures in-situ précises (Nasrallah et al., 2020). Dans ce contexte, la télédétection et en particulier les données RSO, a prouvé sa pertinence pour la surveillance de la dynamique de la culture tout au long du cycle (Pinstrup-Andersen, 2000), permettant d’estimer avec une précision satisfaisante la date d’apparition de certains stades phénologiques clef.

La modélisation de la croissance du couvert (à l’aide d’un modèle de croissance des cultures), du semis à la récolte, avec une certaine précision, augmenterait certainement les chances d’assurer une récolte saine avec une productivité satisfaisante. Cependant, les défis résident dans le fait de disposer d’un suivi précis. C’est pourquoi, plus la précision du modèle augmente grâce à l’assimilation de données obtenues par télédétection, plus la culture est surveillée et plus la santé de la plante reste sous contrôle.

Conclusion

Assurer la sécurité alimentaire est devenu un enjeu mondial. Les productions végétales étant un pilier de la consommation de nourriture à travers le monde, la sécurité alimentaire passe nécessairement par un cycle de développement sain et stable des cultures végétales. Cependant, le manque d’informations précises sur la santé de la culture provoque des pertes récurrentes (Pinstrup-Andersen, 2000).

Dans ce contexte, les données issues de la télédétection ont prouvé un potentiel certain ces dernières années, notamment pour la gestion des cultures à l’échelle parcellaire, faisant suite au lancement des missions Sentinel-1&2. Plus spécifiquement, des chercheurs du monde entier ont développé diverses méthodologies opérationnelles à des fins agricoles ou assimilé, allant de la production des cartes de classification de cultures, à la prise de décision pour la gestion des couverts végétaux, à la consommation d’eau et bien plus encore.

La télédétection s’impose à présent comme une solution clef pour tendre vers une agriculture plus précise et durable, œuvrer pour la sécurité alimentaire, la préservation de l’environnement, mais aussi garder un « œil » sur la santé des plantes.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier la famille ITK (notamment le département d’agronomie), en particulier tous ceux qui ont rendu ce travail possible et publiable. En particulier, les auteurs tiennent à exprimer leurs remerciments à Vianney Houlès, Philippe Stoop, Carole Bécel, Serge Zaka, Claire Richert et Gaetan Leroux, pour leur contribution significative à la révision et à l’amélioration de la qualité de cet article.


Références

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