Le Carbone dans l’Agriculture – Partie 2
Partie 2 ? Si vous n’avez pas lu la partie 1, allez vite ici !
Partie 2 – Et l’agriculture dans tout ça ?
Émissions de gaz à effet de serre en agriculture
En France, l’agriculture est le 2ème émetteur de gaz à effet de serre (20%), derrière les transports (30%) et devant l’industrie (19%). Mondialement l’agriculture et l’occupation des sols représentent plus de 12% des émissions soit environ 6 milliards de tonnes équivalent CO2 (sans compter le changement d’affectation des sols) [1]. Le secteur de l’élevage est celui qui y contribue le plus, le seul méthane (CH4) émis au travers de la digestion des ruminants, y compte pour plus de 40%. La culture de végétaux en émet quant à elle de l’ordre de 30%, surtout du protoxyde d’azote (N2O) liés au cycle de l’azote dans les sols et au recours aux engrais azotés pour les besoins des plantes. Ces émissions peuvent être réduites par différents moyens (et nous y reviendrons dans le prochain article), mais ne peuvent pas être nulles sous peine de ne plus pouvoir manger. Fort heureusement, l’agriculture permet aussi de capter et stocker du carbone de l’atmosphère, compensant ainsi une partie de ses émissions.
Dans cet article nous allons nous concentrer sur ce levier de réduction de gaz à effet de serre. Pour préciser, nous traiterons essentiellement du contexte français, dans le secteur des « grandes cultures » (c’est-à-dire céréales (blé, orge, maïs…), oléagineux (tournesol, colza, soja…) et protéagineux (pois, féveroles…)), soit l’essentiel des surfaces dédiées à l’agriculture en France.
L’agriculture peut-elle réduire la concentration de gaz à effet de serre présents dans notre atmosphère ?
Commençons par le commencement : comment une plante pousse-t-elle ? La réponse tient en un mot qui vous rappelle sûrement vos cours de biologie de collège : la photosynthèse (voir figure 1). Il s’agit d’un processus par lequel la plante capte l’énergie solaire par ses feuilles et l’utilise pour créer la matière organique qui la constitue. Si ce phénomène ne vous paraît pas déjà incroyable en lui-même, il y a mieux : durant la photosynthèse, la plante prélève par ses feuilles du CO2 pour créer les tissus végétaux dont elle est constituée et grandir, et libère dans l’air du dioxygène (O2) qui nous est bien utile pour respirer. Mais alors c’est fantastique, mettons des plantes vertes à nos balcons, et le tour est joué ! Eh bien ce serait une solution un peu légère : déjà parce que votre pied de tomate-cerise, aussi vaillant et bien portant qu’il puisse être, lorsqu’il mourra, s’il n’est pas incorporé dans un sol vivant et en bon état de fonctionnement, libérera dans l’air le CO2 qu’il avait prélevé pendant sa vie, annulant ainsi l’impact positif qu’il avait eu. Le CO2 peut donc passer de l’air vers la plante ; mais comment faire pour qu’il ne soit pas de nouveau libéré à la mort de la plante ?
En réalité, pour que l’effet de serre puisse être diminué significativement par la production agricole de végétaux, il faut que le CO2 prélevé par les plantes soit introduit dans le sol (sous forme de carbone constitutif de molécules, et non plus du CO2 gazeux), et ce de manière durable. Lors de la récolte d’une plante de grande culture, comme du blé, le grain est récupéré pour être consommé par des humains ou des animaux. Le CO2 prélevé dans l’air par le blé pour créer ce grain ne sera donc pas incorporé dans le sol. En revanche, le reste de la plante (dans le cas du blé : la paille et les racines), ce que l’on nomme « résidus de culture », peut être enfoui dans le sol. Si le sol est en bonne santé, alors le carbone contenu dans les résidus de cultures sera effectivement stocké durablement dans le sol, on parle de « séquestration » du carbone. Plus généralement, on peut s’intéresser au stockage carbone du sol qui permet de quantifier la concentration en carbone du sol, qu’il provienne de la séquestration ou d’apport de matière dans le sol par amendements. Le stockage carbone permet de réduire, la teneur en CO2 de l’atmosphère, soit en le captant directement (séquestration) soit en évitant de l’émettre par ailleurs (apports dans le sol) [2].
Comment le CO2 atmosphérique est-t-il séquestré dans le sol ?
Pour bien assimiler ce processus, il faut comprendre que dans le sol, la matière existe sous deux états (voir figure 2). 90 à 99% de la masse du sol est à l’état minéral (c’est-à-dire qui n’est pas organique : eau, sels minéraux, pierre…), le reste étant à l’état organique (essentiellement morte : protéines, sucres… ; une faible part est vivante : les racines, vers de terre…). Dans un sol agricole, ce sont dans les 30 centimètres les plus proches de la surface (c’est d’ailleurs dans cette tranche de sol que se font l’essentiel des travaux mécaniques, comme le labour) que la concentration de matière organique est la plus forte. La répartition entre matière organique et matière minérale peut varier dans le temps. Par ailleurs, même si cette répartition dans un certain sol est stable en valeur, en réalité de la matière organique est constamment transformée en matière minérale (on parle de « minéralisation ») et inversement (« organisation »). Retenons qu’un sol en bonne santé, s’il paraît à l’œil nu immobile et inactif, est un milieu dynamique qui regorge d’activité et dans lequel les changements d’états de la matière s’opèrent en permanence.
Revenons à notre blé : ses résidus de culture (feuilles tiges et racines), qui sont de la matière organique, sont enfouis dans le sol. Une myriade d’organismes très différents (vers de terre, insectes, bactéries, champignons…) s’attelle à décomposer cette matière végétale pour la transformer. Le carbone étant un composant indispensable et très majoritaire de la matière organique (plus de la moitié de la masse[3]), enfouir les résidus de culture augmente la quantité de matière organique et donc de carbone contenu dans le sol.
Encore une fois, le sol est un milieu complexe dans lequel la matière n’est pas « fixée », mais au contraire très dynamique. Pour une unité de masse de matière végétale (et donc organique) enfouie dans le sol, on ne va pas observer une augmentation égale du taux de matière organique. Cet indicateur n’est donc pas toujours suffisant par lui-même pour décrire le processus. De plus, l’augmentation du taux de matière organique n’est pas indéfinie ; des mécanismes la contrebalancent, de sorte qu’elle ne dépasse généralement pas 10% (10g/100g de sol). A titre indicatif, pour le contexte français (et pour les régions du monde où les modes d’agriculture sont proches), on considère qu’un sol agricole dont ce taux vaut 1% (par exemple une terre dont le sol est fortement travaillé depuis longtemps) est pauvre en matière organique, et un sol agricole dont ce taux vaut 5% (par exemple une prairie permanente) en est riche. Il existe beaucoup de types de sol différents, qui associés à des climats tout aussi variés, interagissent de manière spécifique avec la matière organique. Plusieurs études montrent qu’un climat plus froid et plus humide favorisent une minéralisation plus lente de la matière organique et ainsi le stockage du carbone. Sans rentrer dans le détail, le taux de matière organique dans les sols agricoles est un des indicateurs de bonne santé d’un sol, mentionnons qu’une augmentation du taux de matière organique dans les sols agricoles est souhaitable dans la grande majorité des cas.
A l’occasion de la COP21 de 2015, la France a proposé l’initiative dite des « 4‰ [2] » (4 pour mille) : si l’on augmentait chaque année de 4‰ (soit 0.4%) le taux de matière organique dans les sols agricoles du monde (qui ensemble avec les sols non agricoles contiennent 2400 milliards de tonnes de carbone), les émissions annuelles de 9.4 milliards tonnes de carbone (soit 34 milliards de tonnes de CO2) liées aux activités humaines seraient tout juste compensées, évitant ainsi l’augmentation de l’effet de serre. Il s’agit là d’une valeur indicative bâtie sur des calculs théoriques à grande échelle plutôt qu’un chiffre qu’il serait indispensable d’atteindre, tant les modes d’agriculture, les sols et les climats sont variés à travers le monde. Dans son rapport de 2019, l’INRAE estime qu’une augmentation annuelle du taux de matière organique ne peut raisonnablement atteindre que 1.9‰ en moyenne (en mettant en place tous les leviers d’action, auxquels il sera fait référence dans le paragraphe sur les leviers d’action), ce qui est bien en dessous des 4‰. En France, ce taux ‘réaliste’ compenserait environ 5% de nos émissions, ce qui illustre bien que le stockage de carbone dans les sols agricoles ne suffît pas à compenser, s’il n’y a pas de réduction des émissions.
Par ailleurs, c’est bien beau de l’y séquestrer, encore faut-il qu’il y reste dans la durée. Or si un agriculteur s’est engagé à adopter des pratiques agricoles en faveur du stockage du carbone dans le sol pendant mettons 20 ans, puis, qu’il revient à des pratiques déstockantes, la libération de carbone du sol vers l’air sera bien plus rapide que la séquestration. Cela vous paraît-il injuste ? Eh bien il faut vous y faire, c’est comme ça.
Résumons : les plantes sont capables de consommer du CO2 atmosphérique pour créer la matière qui les compose. A leur mort, les résidus de culture peuvent être décomposés par l’action d’un grand nombre d’organismes. Dans un sol adapté, la pénétration du CO2 atmosphérique s’accompagne d’une augmentation du taux de matière organique, essentiellement à proximité de la surface, et qui est mesurable.
Comment le sol et la plante réagissent-ils à une séquestration du carbone ?
Si l’on retire du CO2 qui « pollue » de notre atmosphère pour l’incorporer dans le sol, n’est-on pas en train de polluer le sol, et par suite notre alimentation et nos réserves en eau ? Rappelons d’abord que le CO2 n’est pas par lui-même « polluant », c’est l’augmentation de sa concentration dans l’air qui contribue à modifier le climat. Le sol est quant à lui un puits naturel de carbone (au même titre que l’atmosphère ou les océans), et qu’il est donc tout à fait capable d’en accumuler sans que cela n’entraîne une catastrophe écologique. Bien au contraire : la séquestration de carbone dans le sol peut avoir de nombreux effets positifs pour l’environnement et nos sociétés.
Cela tient au fait que la matière organique (sous ses différentes formes) a des propriétés bien particulières qui sont souvent profitables pour le sol et la plante, si bien qu’augmenter le taux de matière organique encourage ces effets positifs. D’un point de vue chimique, la matière organique contribue à retenir et à rendre disponibles des éléments nécessaires à l’alimentation des plantes que nous cultivons comme l’azote, tout en limitant le risque qu’ils ne quittent le sol pour aller polluer les nappes d’eau souterraines. Sur le plan physique, la matière organique contribue à mieux stocker l’eau dans le sol (ce qui sera utile pour la plante en cas de sécheresse), à rendre sa structure plus cohésive (la terre « se tient mieux ») et donc moins sensible à l’érosion (moins de coulées de boue quand il pleut), poreuse et résistante au tassement (les racines s’infiltrent plus facilement). Enfin, augmenter le taux de matière organique contribue au développement des organismes qui vivent de la décomposition des résidus de culture, ou encore réduit le risque qu’un ravageur (par exemple un champignon) ne se répande trop dans un champ.
En plus de participer à une meilleure fertilité du sol, on comprend alors que ces trois facettes (chimique, physique, biologique) de la matière organique contribuent aussi à la résilience de l’agriculture aux aléas climatiques.
Conclusion
L’agriculture en plus de nous nourrir peut contribuer à lutter contre le réchauffement climatique grâce à la séquestration du CO2 atmosphérique dans le sol. Elle ne nous affranchira pas de du besoin de diminuer nos émissions mais elle offre un levier non négligeable, environ 5% de nos émissions annuelles. L’ajout de carbone organique dans les sols a en outre beaucoup d’impacts positifs sur la santé des sols, leur stabilité et leur capacité à stocker de l’eau. Cela nécessite la mise en place de leviers tel que de laisser sur place les résidus de cultures, de planter des couverts végétaux entre deux cultures ou d’utiliser des fertilisants organiques. Nous reparlerons de tout ça dans un prochain article !
Gaétan Leroux, Keyan Bennaceur
[1] https://www.climatewatchdata.org/
[2] Il existe plusieurs définition de la séquestration de carbone celle choisie dans l’article corresponds à celle du rapport 4 pour 1000 INRAE: https://www.inrae.fr/actualites/stocker-4-1-000-carbone-sols-potentiel-france
[3] “Du Taux de Carbone à Celui de Matières Organiques Dans Les Sols — Les Mots de l’agronomie.”