Pic de pollution en plein confinement le 28 mars à Paris : une analyse illustrée et vulgarisée
Ce samedi 28 mars, en pleine période de confinement, alors que la pollution a drastiquement baissé depuis deux semaines dans le monde, un pic modéré de pollution aux particules fines PM10 a curieusement été observé dans le nord de la France.
L’agriculture, secteur qui semble le moins touché par la crise du coronavirus, a souvent été pointée du doigt. Mais est-ce vraiment à juste titre ? N’avons-nous pas affaire à une situation plus complexe ? Nous allons voir que si…
La pollution : les faits
Ce samedi 28 mars, un pic modéré de pollution aux particules fines PM10 et PM2.5 a été observé dans le nord de la France (figure 1). Il a notamment été observable depuis les webcams parisiennes (figure 1). Celui-ci a été fortement relayé dans les médias puisqu’il est en contradiction avec la diminution du trafic routier et de l’activité des industries lié à la période inédite de confinement. On reste cependant bien loin de pics historiques plus durables et étendus, comme ceux du 17 mars 2015, du 7 au 12 mars 2014 ou de décembre 2013. Plus récemment, le 1er janvier 2020, des restrictions de circulation ont été mis en place. Le trafic routier et le chauffage de bois étaient alors incriminés.
D’après Airparif, les microparticules, de la taille du micromètre (µm, un million de fois plus petit qu’un mètre) ne sont pas visibles à l’œil nu :
– Les particules PM10, de taille inférieure à 10 µm (6 à 8 fois plus petites que l’épaisseur d’un cheveu, soit environ la taille d’une cellule) et qui pénètrent dans l’appareil respiratoire.
– Les particules fines ou PM2,5, inférieures ou égales à 2,5 µm (comme les bactéries) et qui peuvent se loger dans les ramifications les plus profondes des voies respiratoires (alvéoles).
L’agriculture est à l’origine des émissions d’ammoniac
Le mois de mars est propice aux épandages agricoles, comme les effluents d’élevage, les boues agricoles, les amendements minéraux ou les engrais chimiques. Cela permet de préparer la terre à recevoir les futures cultures. Ces pratiques sont à l’origine de l’émission d’un polluant primaire : l’ammoniac (90% des émissions, le reste provenant du trafic routier) qui est un précurseur de particules fines. Comme la persistance dans l’atmosphère de l’ammoniac est longue, d’une semaine ou plus, sa présence dans l’atmosphère de l’Île-de-France s’explique par des émissions régionales et du transfert de pollution à travers la France et l’Europe.
Lors de conditions météorologiques particulières (inversions thermiques et vents faibles qui concentrent les polluants à proximité de la surface), l’ammoniac peut réagir avec les oxydes d’azote et le dioxyde de souffre émis par le transport routier, la combustion du fioul et du charbon. En conséquence, on voit l’apparition de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium autour des villes (figure 2). Ce sont les polluants secondaires, qui ne sont pas directement rejetés dans l’atmosphère mais proviennent de réactions chimiques de gaz entre eux.
Une étude de ATMO en Rhône-Alpes montre notamment l’importance de l’agriculture dans l’émission de particules fines (résultant des réactifs avec l’ammoniac). En 2015, en région en Rhône-Alpes, 37% des particules fines PM10 étaient issues de l’agriculture. Entre 2000 et 2015, une réduction de 11% de ces émissions a cependant été constatée.
L’agriculture, une source de pollution parmi tant d’autres
De nombreux secteurs sont source de pollutions : trafic routier, industrie, chauffage, agriculture, écobuages, brûlis, etc. Concentrons-nous sur les particules en suspension PM10, à l’origine de la pollution observée à Paris le 28 mars 2020. Airparif mentionne plusieurs sources pour l’Ile-de-France pour une journée classique :
- 33% par l’industrie, toutes activités confondues ;
- 25% par les activités domestiques, entreprises, commerces, artisanat, en particulier le chauffage (dont le chauffage au bois) qui est une source importante pendant cette période de confinement (chauffage individuel) ;
- 25% par le trafic routier ;
- 17% par les remises en suspension des particules qui s’étaient déposées au sol sous l’action du vent ou par les véhicules le long des rues et par la transformation chimique de gaz mentionnée plus haut (figure 2).
Notons que, comme toutes les sources de pollutions aériennes, les particules en suspension peuvent être amenées d’industries en dehors du pays, comme l’explique ce document sur arte. Le vent était orienté au nord-est le samedi 28 mars 2020 (Flandre, Allemagne et Pologne). Il ne faut donc pas sous estimer cette hypothèse.
Les effets les plus spectaculaires sont bien entendus ceux des tempêtes de sable, des effets de feux de forêts ou d’éruptions volcaniques. Récemment, un événement exceptionnel s’est produit en Bretagne avec l’arrivée massive de particules issues des feux de forêts portugais, le 16 octobre 2017, en marge du cyclone Ophélia (figure 3) ou encore la tempête de sable au large de l’Afrique le 24 février dernier (figure 4).
Que disent les images satellites ?
Ce samedi 28 mars 2020, les satellites du programme Copernicus ont pu prédire cette pollution aux particules PM10 grâce aux observations depuis l’espace (figure 5). Et… c’est bien plus complexe qu’une simple origine agricole !
On retrouve notamment nos fameux polluants « secondaires » qui sont issus en partie d’interactions avec l’ammonium de l’agriculture (quelques processus de formation ont été décrits plus haut à la figure 2) mais également de nombreux autres facteurs (figure 6) parmi lesquels :
- le monoxyde de carbone (CO) issu des combustions incomplètes (gaz, charbon, fioul ou bois) et qui provient majoritairement des gaz d’échappement des véhicules et des industries. Celui-ci semble prendre source en Pologne.
- des particules de poussières (sables, argiles etc.) qui, d’après cette étude de Nature, favorisent l’apparition des polluants dits « secondaires ». En effet, ces particules servent de surfaces de réactions aux réactions chimiques des différents polluants atmosphériques.
- de l’oxyde d’azote (NOx) issu de toutes les combustions à haute température de combustibles fossiles (charbon, fioul, pétrole…).
- du dixoyde de souffre issu des combustibles (gazole, fioul, charbon…) utilisés dans la production d’énergie (centrales thermiques).
Les riches données de Copernicus nous permettent également de savoir la part de chaque polluant (figure 7) et leur origine (figure 8). Il apparaît clairement que 33% des polluants PM10 à Paris venaient de l’agriculture. Notons la part non négligeable du sable en fin de journée (plus de 20%). Autre chiffre marquant, 85% des polluants PM10 venaient des pays frontaliers (industrie, chauffage etc.) !
Que disent les stations au sol ?
Airparif a très bien observé ce pic de particule à 86.4 microgramme/m3 à 9h00 à la station de Paris 1er (figure 9).
Si on recoupe avec les données du programme CARA (figure 10), la part d’ammonium s’élève à 7 microgramme/m3 et la part de nitrate à 22 microgramme/m3 soit un total de 29 microgramme/m3 de particules probablement issues de l’agriculture.
D’après les données de la station de Paris 1er, 34% de microparticules observées lors du pic de pollution du samedi 28 mars 2020 provenait de l’agriculture. 66% provenaient d’autres sources comme l’industrie, le chauffage ou le sable. Ces données confirment les données issues des satellites (figure 7).
La présence de particules de sable
Lorsque le vent est orienté au sud, il n’est pas rare d’observer la remontée de nuages de sable depuis le Sahara jusqu’en Europe. C’est ce qui a été observé par le Barcelona Dust Forecast Center ces deux dernières semaines (figure 11). Les deux derniers pics de particules fines correspondent notamment au passage de deux nuages de sable distincts provenant du Sahara. Cette hypothèse est également soulignée par ATMO en Normandie. Il faudra maintenant étudier si ce sable a pu redescendre dans les basses couches à la faveur des conditions météorologiques.
Ce n’est pas nouveau. Ce phénomène a déjà été observé de nombreuses fois en France. Lors des épisodes de pollution exceptionnels en 2014, deux laboratoires villeneuvois travaillant avec ATMO observaient des retombées de sable à Lille. Pendant trois jours, le ciel métropolitain s’est chargé de sable sur plus de six kilomètres d’épaisseur. « Grâce à nos études, nous avons montré que le sable arraché le 27 mars au Sahara était retombé en partie à Lille le 30 mars ». Plus récemment, la Martinique et la Guadeloupe ont observé le 3 février 2020 une pollution de particules fines notamment due au passage de brume de sable sur les Antilles.
Conclusion : Une concentration de divers sources de particules fines
Les chiffres clefs :
- 33 à 34% de la pollution était due à l’agriculture
- 66 à 67% de la pollution était due aux chauffages, industries et particules de sable
- 85% de cette pollution venait de l’étranger.
Il est légitime de se poser des questions au sujet de ce pic de pollution en pleine période de confinement ce 28 mars 2020. L’agriculture a, comme tous les ans à cette période de l’année, sa part de responsabilité (34%). Mais il ne faut cependant pas omettre la part prépondérante des chauffages au bois individuels (notamment en période de confinement), l’arrivée de particules depuis les industries d’Europe de l’est et la présence de particules de sable en provenance du Sahara qui peuvent servir de support aux réactions chimiques (66%).
Il existe de nombreux leviers d’action pour améliorer la qualité de l’air. Les sources d’émissions agricoles étant multiples, plusieurs leviers d’actions adaptés à chaque poste sont mobilisables. Des actions à court et à long terme portant sur la réduction des concentrations d’ammoniac, de particules fines et de pesticides dans l’air (diminution des usages et/ou de la volatilisation) et sur la réduction de l’exposition des populations (réduire le contact des populations et des composés présents dans l’air) ont d’ores et déjà été entreprises au sein des exploitations agricoles.
La modélisation elle aussi peut aider à diminuer ces effets au travers d’outils d’aide à la décision et d’indicateurs « environnementaux », par exemple :
- Raisonner l’usage d’intrants (fertilisants et pesticides) ;
- Éviter le travail du sol dans des conditions météorologiques sèches ;
- Meilleure prise en compte des conditions météorologiques et des sols.
Des améliorations plus techniques sont également envisageables :
- Privilégier les engrais peu volatils.
- Améliorer les techniques d’épandage.
- Privilégier la couverture plus permanente des sols.
- Réduire les activités de brûlage des résidus de culture au champs.
Explications limpides pour nous qui avons constaté à l’aide de nos Flow de Plume Labs ce pic de PM en Moselle, département bien classée au palmarès des départements français (92/95). De surcroît nous sommes aussi une région agricole et pas encore en Agriculture Biologique pour tous ses exploitants.
Merci pour votre partage d’analyse qui complète nos questionnements,
IC
* département bien classé en terme de pollution atmosphérique.
Parce qu’en agriculture biologique on n’ pas de déjections animales. Il se nourrit comment le sol? Et les boues des stations d’épuration des villes vous les utilisez comment ? Vous en faites quoi?
Il n’est nul part mentionné qu’il faut arrête les épandages. Il est mentionné qu’il faut en améliorer les techniques.
Non mais là il faut faire l’effort de sortir de derrière son ordinateur et arrêtez de colporter des sottises ! Depuis quand les lisiers sont pulvérisés ??? Depuis quand les « billes » d’engrais de synthèse ou Bio sont pulvérisées ???
Quand aux préconisations on rêve : ne pas travailler le sol en période séchante (labourer sous la pluie au top !), ne pas brûler les restes de culture (comme si depuis l’été, ils n’étaient pas enfouis !) etc… Si l’ont souhaite faire avancer la cause environnementale il faut arrêter de raconter des conneries et faire des amalgames !!!
Bonjour,
Il n’est nul part mentionné que les lisiers et les billes d’engrais sont pulvérisés.
Il n’est nul part mentionné qu’il faut travailler le sol sous la pluie.
Il n’est nul part mentionné qu’il ne faut pas brûler les restes de culture (mais limiter ces pratiques).
Cordialement
Bonjour,
Superbe démontage d’une tentative d’instrumentalisation d’un pic de pollution aux particules fines.
« Pour notre part, outre la clarté de l’exposé, nous avons apprécié dans ce texte de M. Serge Zaka une illustration de la qualité et de la quantité de matière grise qui est mise au service du développement de l’agriculture – celle qui nous nourrit et aussi, si elle veut être preneuse, celle qui ravit une clientèle attirée, selon les termes de M. Gil Rivière-Wekstein, par de fausses promesses et un vrai marketing. »
http://seppi.over-blog.com/2020/04/covid-19-particules-fines-agriculture.et-manipulation.html
Merci pour votre retour encourageant et pour le super dossier, complet et résumant bien la situation. Je vais le partager sur mes réseaux.
Bonne journée !
Bonjour
J’ai vraiment du mal avec les chiffres que vous avancez sur la part de pollution incriminée à l’agriculture. Et Le fait que vos calculs correspondent aux chiffres généralement avancés n’est pas une justification en soi.
Pour avancer vos chiffres il me semble que vous considériez les nitrates comme ayant une origine agricole. Or d’après ce que vous avez écrit plus haut et les informations que l’on peut trouver par ailleurs le nitrate d’ammonium provient de la réaction entre l’ammoniac et les NOx. Si le premier est bien d’origine agricole les seconds ont toutes origines mais aucunement agricole.
Enfin même si vos chiffres étaient justes l’essentiel de la pollution est d’origine étrangère qu’elle soit agricole ou autre.
On voit mal comment la Reglementation française pourrait intervenir ; et l’Europe on voit ce que cela a donné
Enfin les paysans effectuent leurs travaux comme le travail du sol et l’épandage des engrais quand les conditions météo et de ressuyage des sols le permettent et en fonction de leurs autres activités et forcément ce n’est jamais comme écrit dans les bouquins…
La robotique les outils d’analyse et de modélisation : certes c’est un levier d’action mais il se heurte à des difficultés techniques humaines et économiques
Avez vous tenu compte des systèmes de depollution actuels automobiles et poids lourds ?
L’injection d’acide urique (Adblue) dans les échappements est une nouvelle source d’émission d’ammoniaque…et la principale à l’heure actuelle…
Il y en a marre de l’agribashing !
Bonsoir, la Corse mets beaucoup de données à la disposition du public. Pour les journées du 28 et 29 mars il est fait état d’une hausse semble-t-il très importante des particules PM2.5 et PM10 , uniquement sur Bastia. En milieu rural, RAS, alors que les stations Trafic, Urbain et industriel « explosent ». Si j’interprète bien les données, il s’agirait donc d’un phénomène local puisqu’en dehors du secteur de Bastia-urbain, les données semblent bonnes. Pourriez-vous m’aider à comprendre ?
Merci pour cette présentation qui permet de comprendre – pour ceux qui en doutait on nombre desquels notre Ministre de l’écologie – que nous ne vivons pas sous cloche. Bref, l’atmosphère est 1 et partagée par tous les terriens et une molécule de quelque gaz que ce soit (sauf l’hélium) émise à un instant T en un point du globe a la potentialité d’être n’importe où ailleurs 1 an après.
Ainsi prétendre lutter contre la pollution de l’air que respire les citadins en leur interdisant des véhicules émissifs est une ineptie. Sûre que moins d’émission c’est mieux mais le lien de cause à effet est une escroquerie intellectuelle. Cette escroquerie se double de la grille de lecture des technocrates incultes ou cyniques qui ne veulent prendre que les émissions de polluants à la sortie d’un pot d’échappement mesurées par les fabricants eux-mêmes (une ineptie doublée d’une inconséquence à moins que ce soit une coupable complicité). Une tuture US électrique de 2,7 tonnes dont 700kg de batterie pleine de Cobalt congolais et rechargée avec des centrales électriques au charbon allemandes ou polonaises pollue sensiblement plus qu’une 4cv essence de 1965 ou une Traban 2 temps de 600kg. Un critère éco sérieux doit prendre l’empreinte globale d’un véhicule de sa fabrication à sa destruction en passant par son usage et, selon son lieu d’utilisation et l’énergie utilisée, l’emprunte écolo varie du tout au tout. CritAir classe le Ford Galaxy 7 places hybride essence de 2800kgs, 456cv, 6 cylindres essence de 15 litres au cent CritAir1 parce qu’il est hybride (30kg d’autonomie sur batterie) et familiale (7 places) et classe une Twingo I essence 1 litre 60cv 900kg 4 places CritAir3 … Je ne suis pas complètement certain qu’il soit souhaitable de remplacer une Twingo I par un Ford Galaxy de 2,7 tonnes.
L’agriculture et la déforestation associe sont responsable de 10+15=25% des émissions de CO2 (et pas que de ça). Et ceci essentiellement pour cause d’élevage répondant aux demandes croissante de viande. Il s’agit moins de faire de l’agrobashing (de la part d’un ingénieur agro ça serait le comble) que de tirer dans le sens de réduire par 3, 4 à 5 nos consommations de viande pour la payer 4, 5 à 6 fois plus cher à nos éleveurs qui pourront passer d’un modèle intensif désastreux pour l’environnement à une production limitée de qualité dont le prix qui leur permettra de vivre de leur travail et qui réduira notre conso pour le mieux de notre système cardio-vasculaire (400 décès par jour tous les jours en France par défaillance cardio-vasculaire – le corona ne fait pas le poids par rapport aux conséquences de notre surconsommation de viande).